Eden ...
Voilà un (bien) long moment que la "Madeleine Proust" n'a pas sévi ...
Il devenait urgent de vous administrer une petite piqûre de rappel ...
Et, puisque les vacances sont là, je me vous replonge, avec délectation, dans mes souvenirs de villégiature bretonne ...
... la malle est bouclée (2 mois de change !), la maison rangée, pas le moindre flocon de poussière sur les meubles ... juste une étiquette raturée, oubliée sur la table et qui n'accompagnera pas la valise à laquelle elle était destinée ...
... cette étiquette qui nous fera verser une petite larme pour les plus discrets, de gros sanglots pour les autres, le jour de notre retour ...
"Nous nous rendons, comme chaque année, en Bretagne dans la chaumière familiale"...
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Notre paradis, c'est une vieille (1828) et modeste partie de longère, au toit recouvert de chaume, à peine éclairée par une minuscule fenêtre agrémentée de 3 barreaux rendant impossible toute velléité d'évasion ou de cambriolage (mais pour voler quoi ?) ...
... une seule pièce, au sol recouvert de terre battue côté cuisine et planches de sapin dans le coin chambre ... pas l'eau courante donc pas de salle de bains (quant au reste ... les haies et autres bosquets font d'excellentes toilettes !), pas de tout à l'égout donc pas d'évier ...
Un seul point de lumière ... deux ou trois prises électriques ... la télé, la quoi ? Une cuisinière à bois pour réchauffer les matins frisquets ...Quand s'il pleut, si l'orage menace, ma petite Maman plaint tous ces pauvres campeurs coincés sous leur tente humide ou dans leur caravane exiguë "quelle chance nous avons d'être ainsi à l'abri !...". Nous faisons du camping "en dur" ...
Notre paradis, c'est un havre de paix, niché dans la verdure, entouré de champs et de prairies à perte de vue, frôlé par une jolie rivière ... une maison construite pour durer, avec cette belle pierre bretonne si dure à travailler, si douce dans le soleil couchant ... du chaume sur le toit, une grosse porte en bois vermoulu, des poutres (des troncs à peine ébarbés) posées pour soutenir pas pour orner ...de vieux meubles de mariage en merisier dont les portes qui grincent, dénoncent les gourmands, des lits étroits et hauts, recouverts de gros édredons grenat ... les nuits sont fraîches : Dieu que l'on dort bien !
Le puits où il ne faut pas se pencher ... surtout, ne pas gaspiller la moindre goutte d'eau : le seau est si lourd à remonter, si fatigant à porter... le gros chaudron qui bout dans le foyer : on est en vacances mais on reste propre ...
... après le souper, une partie de "petits chevaux" ou de jeu des "7 familles", les infos "au poste", un peu de lecture sous la suspension enrhumée (le courant a quelques difficultés à nous parvenir) ... extinction des feux ... quelques rires vite étouffés par les menaces paternelles ...
... juste un rai de lumière mais déjà le coq chante, les sabots du Père François sont un excellent réveille-matin ... les vaches se hâtent vers le pré ... une odeur de fumier chatouille nos narines d'(encore) citadins... Oserai-je le dire ? j'ai gardé, de cette époque, un amour des vaches et de leur "parfum" (on peut apprécier Shalimar et aimer des fragrances plus ... rustiques) ...
...encore en pyjama, le petit-déjeuner vite expédié, déjà dehors : va-t-il faire beau ? Nous sommes à l'Ouest et le soleil se lève plus tard ...
... la rosée trempe nos savates : c'est bon signe, il va faire chaud ...
... il a plu ? il pleut ?... petite Mère scrute l'horizon, la main en visière : " le vent tourne, ça se lève, ça va se lever ... le soleil sera là avant midi ou ... plus tard ... qu'importe : "regarde Maman, même pas mouillés !"
Difficile à croire : je vous parle d'un temps ... pas si lointain (qu'est-ce que 40, 50 ans à l'échelle temporelle !)
Le progrès ne nous a pas oubliés et la chaumière s'est modernisée. Toutes ces commodités sans lesquelles il nous semble, sinon impossible, du moins difficile de vivre ont été installées ...
Plus de confort ... moins d'isolement : les bois ont été rasés, vive les promoteurs ...
Plus de coq, plus de vaches ... plus de tas de fumier ... (étrange comme, selon le contexte, le mot PLUS a une signification totalement différente )
Pas encore le Club Méd.... mais plus de sauvageons qui courent dans la campagne et s'arrachent les genoux en escaladant les haies ...
Le pain de 4 livres n'a plus le même goût, la confiture que l'on étale sur nos tartines plus la même saveur ...
... c'était le bon temps ? en tout cas, le temps de l'enfance, de l'insouciance, de l'instant juste apprécié ... pas de projection sur le long terme, demain est un autre jour ...
Comme nous les aimions ces deux mois entre parenthèses ! Comme le retour dans le monde civilisé nous paraissait incongru ...
Pas évident, dans ces conditions, de raconter "nos" grandes vacances aux copains.
Peut-on comparer quelques heures au club Mickey et nos après-midi au bord de la rivière, à pêcher les petits goujons qui agrémenteront notre dîner (accompagnés de pommes de terre cuites sous la cendre ... divin) ... à chanter à tue-tête pour le simple plaisir d'entendre l'écho nous répondre ... à dévaler ces prés en "pente" au risque de se tordre la cheville ... à faire la sieste à l'ombre du saule ...
L'adolescence nous a rendus moins diserts, un peu honteux ... les photos que nous montrions faisaient abstraction du tas de fumier devant l'écurie, des sabots du grand-oncle, du gros chaudron où bouillait le linge ... l'innocence s'était enfuie ... le paraître prenait le pas sur l'être ...
Nous lui avons fait quelques (légères) infidélités à notre coin de paradis ...
Pas bien méchantes les infidélités ... toujours, nous sommes revenus : deux, trois jours, deux, trois semaines ...
Pas rancunier, notre paradis ... toujours là, prêt à nous accueillir ...
*
Une autre histoire allait bientôt commencer : la génération suivante était arrivée et découvrait, à son tour, le bonheur de posséder ce lopin de terre, belles racines (grand)-maternelles (être né quelque part) ...
... je t'aime mon petit coin de paradis ...
...et que cette chaîne, longtemps se poursuive ...